Aujourd’hui, j’ai le goût de rendre hommage à vous cher accompagnateur d’une personne atteinte de maladie mentale. Je me permets de vous raconter une tranche de vie, mon histoire avec mon frère Guy, atteint de schizophrénie. Mon accompagnement s’est fait sur une courte période, mais combien enrichissante pour moi. Guy a contribué à me faire grandir et surtout à m’aider à comprendre cette réalité qui souvent nous fait peur et que nous refusons de voir jusqu’à ce que la vie nous place devant cette situation.
Guy était l’aîné de la famille, il était un homme fier et très autonome. Il était fort, courageux, travaillant et débrouillard, il trouvait des solutions à tous les problèmes. La maladie était probablement latente depuis longtemps, mais avec sa consommation de drogues, elle s’était accentuée et peu à peu son comportement a commencé à changer. Guy vivait en région éloignée, donc on ne le voyait pas très souvent. Sa situation semblait stable jusqu’au jour où tout bascula.

Guy est arrivé chez ma sœur, en pleine psychose. Il était persuadé qu’il était suivi par des hommes et que sa vie était en danger. Tout son corps traduisait cette peur, il tremblait, ses yeux étaient effrayés, il était sur ses gardes et chaque regard lui semblait suspect. Je vous avoue que ma sœur était assez déstabilisée de voir mon frère dans cet état. Jusqu’à ce jour, nous n’avions jamais imaginé que Guy pourrait vivre une telle détresse. Ma sœur a accepté d’héberger mon frère à la condition qu’il consulte afin de recevoir de l’aide. Rapidement il a été pris en charge, il a rencontré un médecin, il a été médicamenté et référé vers un intervenant qui était responsable de préparer un plan d’intervention. Avec sa thérapie, la peur avait diminué d’intensité, mais il était toujours persuadé d’être en danger. Son corps en entier lui faisait mal, il n’avait plus ni la force physique, ni mentale pour travailler. Dans sa tête, les pensées noires se multipliaient.

Je me souviendrai toujours de sa grande détresse, de ses yeux effrayés, de sa fragilité. Il s’épuisait à se débattre avec la maladie. Je me souviens aussi de ma grande détresse, ma peine de le voir souffrir et d’être impuissante à le soulager. C’était difficile pour lui de dépendre de nous pour se loger et se nourrir, sa fierté en prenait un coup.
Guy vivait dans son monde, avec sa réalité, nous étions ailleurs. La communication était difficile, nous lui disions que nous l’aimions, il entendait mais il n’était pas capable de ressentir cet amour. Je me suis sentie tellement dépassée par la situation, j’aurais tellement voulu prendre sa souffrance pour un instant afin de lui permettre de se reposer, mais c’était impossible.

La dernière fois que j’ai vu mon frère, c’était à son soixantième anniversaire de naissance. Nous l’avons amené manger dans son restaurant préféré. Pendant le repas, à un moment, nos yeux se sont croisés, ça faisait longtemps que je n’avais pas ressentie un tel contact avec lui, il m’a souri et j’ai senti chez lui un certain apaisement. C’était le 14 mai et il est décédé d’un infarctus quelques jours après. Je garderai dans mon cœur le souvenir d’un homme très courageux, qui s’est tenu debout dans la maladie.
Et pour vous proches aidants d’une personne atteinte de maladie mentale, je ressens beaucoup d’empathie et je vous admire. Votre aide est précieuse pour votre proche, mais il est normal de ressentir parfois de l’essoufflement et peut-être du découragement. N’oubliez pas que vous n’êtes pas seul, il existe des ressources pour vous accompagner, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. Pour prendre soin de l’autre, il faut d’abord prendre soin de soi.

Je vous souhaite la sérénité et la paix.
Avec joie et bienveillance, Joanne